Le textile en bambou n’est pas un textile naturel encore moins écologique !

Jan 25, 21

“Dis, on m’a parlé d’un textile extraordinaire, naturel, écologique et hyper doux : le textile en bambou, tu connais ?”

C’est vrai, le textile en bambou est devenu en quelques années hyper prisé de l’industrie du textile et de ses consommateurs. Un must have rassurant, un peu le vêtement vert tendance qui donne bonne conscience. Et, en plus, il est tellement doux. Beaucoup de gens pensent que ce textile en bambou est un textile naturel, mais en fait ce n’est pas du tout le cas. Certains parlent même d’arnaque écologique.

Super doux ! Oui, mais...  

Le textile en bambou, n’est généralement pas un textile naturel

Oui, la plante de bambou est une plante qui a de réels  atouts écologiques. Sa croissance est rapide et sa culture ne nécessite pas réellement de pesticide ou d’engrais. Et en plus, le bambou n’est pas gourmand en eau, il lui faut 4 fois moins d’eau que le coton pour pousser.

Mais, c’est un textile artificiel. Il est généralement fabriqué en viscose de bambou. Des bambous, même ceux d’origine biologique -cela ne change strictement rien -, sont en fait transformés en une matière qui n’est ni naturelle, ni écologique.

C’est le moment de rappeler qu’il existe deux grandes catégories de textile. Les textiles naturels et les textiles chimiques (soit artificiels ou synthétiques). Je vous comprends,  pas toujours facile de s’y retrouver, je le détaille dans cet article sur les fibres naturelles.

Théoriquement, un textile en fibre de bambou naturel peut exister, c'est- à dire qu’on part directement de la matière première en fibre de bambou pour la transformer en fil. Sauf que… 

Sauf que c’est une matière première extrêmement dure et résistante, très difficile à transformer en fil. Le processus est long, pénible, compliqué et très coûteux. La fibre de bambou naturelle sera dès lors judicieusement mélangée avec d’autres fibres naturelles (coton, lin, laine, chanvre, ...). Peu courant de le retrouver sur le marché.

D’après le label GOTS : « Pour la plupart des fibres de bambou utilisées dans la production de textile industrielle, le bambou naturel n’est pas utilisé, mais il est mélangé et régénéré dans un procédé viscose/rayonne et peut, par conséquent, ne pas être considéré comme une fibre naturelle ou même biologique, même si la plante du bambou est à la base certifiée biologique dans les champs ».

Bref, le textile en bambou naturel n'existe quasiment pas. Ce qu’on trouve généralement sur le marché c’est de la viscose de bambou (appelé aussi rayonne ou modal de bambou). Ce n’est pas une fibre naturelle mais une fibre artificielle issue d’une lourde transformation chimique de la cellulose présente dans les bambous.    Ce procédé, la viscose, inventé en 1884, permet d'obtenir des fibres textiles à base de matière première végétale régénérée artificiellement à partir de la cellulose.

Mais comment la viscose de bambou est-elle fabriquée? 🏭

Certains fabricants de textiles en bambou l'expliquent assez simplement parfois sur leur site. Les tiges de bambou sont déchiquetées en copeaux pour être transformées en viscose. Ces copeaux de bambou sont ensuite bouillis dans un bain d’hydroxyde de sodium et de disulfure de carbone. Certains ont la transparence / l'honnêteté d’expliquer que le procédé n’est pas parfait mais qu’il tente de s‘améliorer…

Du coup, cela m’a titillée.  J’ai tenté d’en savoir un peu plus. N’étant pas scientifique, je vous redonne les étapes plus détaillées décrites clairement, même s’il utilise des termes très scientifiques, dans le mémoire d’un ingénieur sur le sujet des fibres cellulosiques :

  • La cellulose est décomposée (ou plus exactement hydrolysée) dans un bain de soude caustique = hydroxyde de sodium (NaOH) afin de gonfler la cellulose et d'écarter les fibres.
  • La deuxième étape correspond à une action de pressage puis de déchiquetage.
  • La cellulose est ensuite dépolymérisée 
  • La cellulose étant insoluble dans l’eau, il faut lui greffer du disulfure de carbone (CS2) afin de la rendre soluble. Il s’agit d’une molécule de taille importante qui provoque un écartement des chaînes. De plus, sa charge négative donne un caractère hydrophile à la cellulose. Il en résulte du xanthate de cellulose.
  • Une étape de filtration permet de retirer les impuretés, particules de gel, de la solution .
  • Le filage des fils de viscose peut enfin être fait à travers une plaque perforée dans un bain d’acide sulfurique (H2SO4) : des filaments continus sont obtenus. L’acide élimine les parties greffées, la cellulose n’est donc plus soluble et est régénérée sous forme de fils. 

 

Vous vous en doutez.  Le disulfure de carbone, c’est  une catastrophe. Un produit chimique terriblement toxique et polluant. Réellement dangereux pour la santé des ouvriers dans les usines, il est aussi une sacrée source de pollution de l’eau et de l’air. Les usines fabriquant la viscose récupèrent la moitié de ce solvant. Par conséquent, cela implique que l’autre moitié est rejetée dans la nature. Bonjour les dégâts.

Et, y a pas d'alternative, mdame ? 🌝

Alors, oui soit on se dirige simplement vers d’autres fibres 100 % naturelles (coton, lin, chanvre, laine, …), soit on cherche du Lyocell. Un procédé toujours chimique mais moins polluant qui concurrence réellement la viscose. Ce procédé alternatif de fabrication de fibres textiles à base de cellulose de bois (pin, eucalyptus, bambou, …) se fait avec un solvant non toxique, le NMMO, qui est recyclé dans sa quasi-totalité. Cette confection en circuit fermé couplée à une faible consommation en eau rend le lyocell nettement plus  écologique. 

Le lyocell étant à base de bois, encore faut-il que les forêts qui servent à sa production soient gérées durablement. 

C’est là que, pour le bambou, apparaît un deuxième problème. Comme en tout, l'excès nuit au bon. Vu le succès de cette plante dite “écologiquement parfaite”, une agriculture intensive s’est  développée au détriment de la qualité écologique  et de la biodiversité.  On hésite moins à rajouter quelques intrants chimiques pour accélérer encore la croissance de cette plante. Et puis comme l'exprime thegoodgoods “Très schématiquement, dans une monoculture non rotative, la plante puise sans cesse les mêmes nutriments et épuise le sol qui l’héberge. Par ailleurs, plus l’usage s’intensifie, plus les forêts sont déboisées au profit des terres de culture. Le bambou est indépendant et gourmand en territoire, son expansion est rapide et lorsqu’elle se situe hors de ses terres d'origine. Elle dénature la biodiversité locale (et dépeuple par exemple les animaux habitants dans ces forêts remplacées).” 

Par ailleurs, on peut se demander ce qu’il en est des qualités intrinsèques de cette plante, notamment ses propriétés antibactériennes, lorsqu’elle est transformée en viscose … Là aussi, il semblerait que les textiles transformés artificiellement n’apporteraient pas les mêmes qualités que les textiles naturels. Ou en tous cas, ils devraient être démontrés par les fabricants.

Et alors ?

La douceur du textile de bambou ne fait aucun doute. Si c’est ce que vous recherchez avant tout, faut surtout pas hésiter. Mais si vous avez d'autres préoccupations, plus écologiques ou éco responsables, ce serait peut-être pas plus mal  de se tourner vers des fibres réellement naturelles … Ce qui est certain, c’est qu’il est utile de lire toujours attentivement les étiquettes 👓 et de questionner les fabricants.👕

 

Pour aller plus loin

Site GOTS

Mémoire “les fibres cellulosiques à usage textile”

Viscose de bambou l’arnaque écologique

We dress fair : le bambou 

The goodgoods : les vêtements en bambou sont-ils écologiques ?

Consoglobe : les vêtements en bambou sont-ils vraiment écologiques ?

Atelier 53 : Non, le textile en "bambou" n'est pas durable et écologique